Biais cognitifs & désinformation : synthèse des travaux de Gérald Bronner


Désinformation, rationalité, biais cognitifs et stratégies de défenseSynthèse du cycle de conférence de février à mai 2025 de GÉRALD BRONNER

Biais cognitifs et désinformation

Merci à Gérard Bronner d’avoir rendu public et accessible l’ensemble des conférences données à la Sorbonne sur les biais cognitifs et la désinformation.

Ce cycle propose une plongée complète dans les vulnérabilités cognitives humaines, la manière dont l’écosystème numérique les exacerbe et les solutions concrètes pour renforcer l’esprit critique.
Il repose sur une thèse centrale :

Nous vivons dans un environnement informationnel où nos limites cognitives, perceptives, émotionnelles et probabilistes sont exploitées. Pour survivre mentalement, il faut comprendre ces limites et développer des compétences de “défense cognitive”.


1. Un monde saturé d’informations, propice à la désinformation

Les premiers documents support à la conférence montrent l’explosion :

  • du nombre d’internautes,
  • des réseaux sociaux,
  • des boucles de viralité qui favorisent le sensationnel.

Bronner met en évidence :

  • des pages anti-vaccins plus connectées que les pages pro-science,
  • une disparition du temps de latence entre un événement et l’apparition d’une théorie du complot,
  • la loi de Brandolini : il faut 10× plus d’énergie pour démentir une fausseté que pour la produire.

👉 Le système de l’attention favorise les émotions, l’indignation, la peur — et donc les fausses nouvelles.


2. Les limites de notre rationalité : nos biais cognitifs naturels

Bronner identifie quatre types de limites :

2.1. Limites spatiales

Exemples visuels :

  • illusions d’optique (cylindre → rectangle / cercle),
  • cadrages trompeurs (photos de personnalités mal interprétées),
  • illusions de perspective.

👉 Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel qu’il apparaît depuis notre point de vue.

2.2. Limites temporelles

  • Le dindon de Russell (extrapolation naïve),
  • Notre incapacité à évaluer l’exponentiel,
  • Nos anticipations “par la tangente” (erreur massive sur 1×2×…×8).

👉 Nous raisonnons le futur comme une copie du passé.

2.3. Limites culturelles

  • Soucoupes volantes ⟶ construction culturelle,
  • Observations de Nuremberg (1561) interprétées selon croyances de l’époque,
  • Images “avant/après” biasées.

👉 Nos croyances s’inscrivent dans l’imaginaire de notre culture.

2.4. Limites cognitives

  • Paradoxe de Monty Hall,
  • Mauvaise compréhension du hasard,
  • Effets de cadrage,
  • Faux patterns détectés dans les tweets ou les coïncidences.

👉 Notre intuition probabiliste est très faible.


3. Le croire contaminé par le désir

Bronner explore ensuite comment le désir, l’intérêt personnel ou la peur déforment la perception du vrai.

3.1. La perception influencée par la motivation

  • Expérience de Dunning & Balcetis :
    ceux qui veulent voir une lettre voient un “B”, ceux qui veulent un chiffre voient “13”.
  • Rumeur du café cancérigène :
    les gros consommateurs refusent d’y croire (30 %), les petits y adhèrent (90 %).

👉 Nous ne croyons pas selon la vérité, mais selon ce qui préserve notre confort psychique.

3.2. Biais de confirmation

  • Les gens cherchent des preuves qui confortent leur croyance.
  • Test de Wason : on teste ce qui confirme, pas ce qui infirme.
  • Francis Bacon l’avait déjà identifié dans le Novum Organum :
    l’esprit humain force la réalité à soutenir ses opinions.

3.3. Emballements collectifs

  • Affaire des pare-brise de Seattle,
  • Rumeurs à Saint-Cloud autour d’antennes.

👉 Les individus se contagient mutuellement leurs interprétations anxieuses.

3.4. Biais de disponibilité

  • On évalue une fréquence selon les exemples qui nous viennent en tête.
  • Dans un couple, chacun pense faire davantage que l’autre.
  • Les médias alimentent ce biais en mettant en avant des cas extrêmes.

👉 Ce qui est mémorable devient illusoirement fréquent.


4. L’économie mentale : risques, probabilités, illusions de décision

Les PDF mis à disposition sur le site de la Sorbonne montrent que nos évaluations du risque ou des coûts/bénéfices sont massivement déformées.

Principales observations :

  • On surestime les petites probabilités (accidents d’avion, loto),
  • On sous-estime les risques quotidiens (voiture, maladies cardiaques),
  • On privilégie le certain sur le probable (aversion aux pertes),
  • On tombe dans le biais du survivant (analyser les survivants et non les disparus),
  • On combine très mal les probabilités :
    ex. 80 % × 4 obstacles = 40 %, mais la plupart répondent ~80 %.

👉 Nous ne sommes pas naturellement équipés pour raisonner en termes probabilistes.


5. Comment renforcer l’esprit critique face à la désinformation ?

Le dernier PDF offre un arsenal cognitif pour se défendre dans l’écosystème informationnel. C’est en quelques sortes « les solutions Bronner » pour identifier nos biais cognitifs face à la désinformation.

5.1. Pédagogie de l’erreur

  • Normaliser l’erreur humaine,
  • Expliquer les biais,
  • Ne pas rompre le lien dans le dialogue (sinon radicalisation).

5.2. Changer le cadre (frame effect)

Exemple du test médical :

  • Présentation statistique → la plupart se trompent.
  • Présentation en fréquences naturelles (“1 sur 1000 / 50 faux positifs”) → 76 % trouvent la bonne réponse.

👉 Reformuler change la décision.

5.3. Le contre-feu (pré-bunking)

Trois techniques :

  • escalier de la radicalité (repérer les glissements),
  • inoculation cognitive (exposer à de petites manipulations pour renforcer l’immunité),
  • sophisme de la profondeur explicative (forcer à détailler → révélateur d’ignorance).

5.4. Le rétrojugement

  • Revenir à la réalité mathématique,
  • Confronter intuition et calcul factuel.

👉 C’est un levier puissant pour réajuster des croyances erronées.


Synthèse finale

Le cycle de conférence forme un tout cohérent autour d’un message central :

Nous vivons dans un environnement où :

  • notre perception est biaisée,
  • nos émotions prennent le dessus,
  • nos probabilités sont mal évaluées,
  • nos désirs filtrent le réel,
  • la désinformation est omniprésente,
  • et le faux circule plus vite que le vrai.

Et pourtant, nous pouvons développer des défenses cognitives :

  • comprendre nos limites,
  • diversifier nos sources d’information,
  • évaluer nos désirs et projections,
  • privilégier des données cadrées et reformulées,
  • pratiquer le pré-bunking,
  • ralentir la pensée,
  • ne pas confondre intuition et connaissance.

En un mot : cultiver une “hygiène mentale” adaptée à l’ère numérique – Article manifeste à paraître le 23 décembre 2025.