Derrière le contrôle, la souffrance du manager

Quand on parle de management de contrôle, on imagine souvent des figures autoritaires, crispées sur leur pouvoir. Pourtant, ce que j’ai rencontré le plus souvent dans mes accompagnements, ce n’est pas cela.
Le contrôle ne naît pas toujours d’une volonté de dominer. Bien plus souvent, il surgit de la souffrance du manager. D’un isolement, d’une peur, d’un découragement. Derrière une posture de contrôle, il y a fréquemment un manager qui ne sait plus comment faire autrement.


La souffrance du manager : ce qu’on ne voit pas

On parle beaucoup de managers contrôlants, rarement de managers en souffrance.
Pourtant, derrière chaque tableau de bord vérifié trois fois, derrière chaque validation micro-détaillée, il y a souvent une réalité invisible :

➡️ la peur de se tromper,
➡️ la pression du résultat,
➡️ la solitude dans la décision.

Le contrôle n’est pas un excès de pouvoir.
Le plus souvent, c’est un manque d’air.

Ce sont des managers qui aimeraient faire confiance… mais qui n’en ont plus les ressources internes.
Ils savent que la posture de contrôle met les autres à distance, mais c’est la seule qu’il leur reste pour tenir debout.

Le contrôle n’est pas du pouvoir.
Le contrôle est une tentative de survie.

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Le contrôle : un appel à l’aide avant tout

Je me souviens d’une prise de poste difficile. La personne qui m’appelait ne demandait pas des méthodes ni des outils. Elle demandait de l’air. Elle vivait une souffrance émotionnelle réelle, liée à l’isolement et au poids de la responsabilité. Mon rôle, dans ce contexte, n’était pas de transformer une organisation, mais simplement d’accompagner une personne pour qu’elle retrouve son souffle.

Et c’est bien ce qui s’est passé : une fois que cette souffrance s’est apaisée, la personne a pu reprendre ses habitudes, retrouver son énergie et relancer elle-même des transformations.
Mais au moment de dire « merci, on arrête là », une gêne est apparue. Couper une main tendue, dire stop, est difficile. Alors, plutôt qu’un au revoir clair, la relation s’est progressivement teintée de contrôle.


Le paradoxe du management moderne

Ce que j’ai observé chez cette personne, je l’ai retrouvé ailleurs, dans de grands groupes.
Je pense notamment à un accompagnement en 2016 chez un acteur du leasing auto, ou encore chez A… où j’ai fait mes débuts de Coach Agile et Lean-: les managers étaient formés à être plus empathique : à tutoyer, à se montrer bienveillants, à encourager les équipes à prendre soin d’elles.
Sur le papier, tout semblait aller dans le bon sens.

Manager autrement la boussole émotionnelle
La boussole émotionnelle propose 3 postures et 3 directions pour mobiliser son intelligence émotionnelle dans son contexte

Mais derrière cette façade, la réalité était plus complexe.

Ces managers étaient souvent des profils très directifs, engagés résultats voir contrôlant sur le comment faire.

pour reprendre ma boussole émotionnelle de Manager Autrement, ils sont “propulseurs” — engagés dans l’action, moteurs du changement.

Pas des autocrates au sens traditionnel. Pas des chefs autoritaires et obsolètes. Mais des personnes poussées à emmener leurs équipes à marche forcée vers plus d’autonomie… alors même qu’elles n’en avaient ni les moyens, ni le temps, ni parfois l’envie.

Le passage à l’autonomie des équipes est souvent long, et nécessite un lâcher prise sur le résultat parfois opposés à la performance individuelle, et souvent contraire à l’efficacité opérationnelle dénuée de sentiment.


3.Quand la bienveillance devient contrôle

Dans cette tension, la bienveillance se déforme. Le manager, sincèrement soucieux de son équipe, cherche à « protéger », à « guider », à « donner du courage ». Mais faute d’espace pour exprimer sa propre vulnérabilité, il reprend la main, il resserre le cadre.

Le coach, dans ce contexte, devient un exutoire. Une oreille qui accueille la souffrance, les contradictions, le désœuvrement. Mais parfois aussi… un Kleenex. On prend, on jette, et l’accompagnement s’interrompt quand la pression se relâche un peu.


4. Le retour à l’autocratie : un signal d’épuisement

Ce qui me frappe, c’est que ce contrôle n’est pas un retour nostalgique vers un management autoritaire. C’est plutôt un réflexe de survie.
Quand les démarches d’accompagnement n’aboutissent pas, quand la délivrerie n’est pas au rendez-vous, quand les projets tournent en rond, le manager épuisé n’a plus d’options. Alors il revient à ce qu’il connaît : donner des ordres, trancher, imposer. Non pas par conviction, mais par désespoir.

Le contrôle devient alors un refuge, une manière de conjurer l’impuissance.


5. Ce dont les managers ont vraiment besoin

Ce que ces expériences m’ont appris, c’est que les managers n’ont pas besoin qu’on leur martèle des injonctions à « être plus bienveillants » ou à « lâcher prise ». Ils auraient besoin de quelque chose de plus simple et de plus humain :

  • Un espace pour déposer leur souffrance, leurs contradictions.
  • Un temps pour dire qu’ils ne savent pas, qu’ils sont fatigués, qu’ils doutent.
  • La possibilité d’être accompagnés sans être jugés, ni infantilisés.

C’est à cette condition que la relation cesse d’être un espace de contrôle et redevient un espace de respiration.


Conclusion

Derrière chaque posture de contrôle, il y a une histoire. Une histoire de vulnérabilité cachée, de courage mal reconnu, de solitude trop lourde.
Ce que j’ai vu à travers ces situations, c’est que les managers ne sont pas des figures autoritaires par nature. Ce sont, le plus souvent, des personnes en difficulté, qui font comme elles peuvent pour survivre dans un système qui les dépasse.

Reconnaître cette souffrance, lui donner un espace d’expression, est peut-être la première étape pour éviter que le contrôle ne reprenne toute la place.

👉 Si ce texte résonne avec vous, je vous invite aussi à relire le témoignage qui l’a inspiré : Quand le contrôle étouffe la relation.