Depuis lâatelier prĂ©cĂ©dent, les regards ont changĂ©. Mais dans le flou, les projections rĂ©apparaissent. Claire invite lâĂ©quipe Ă se demander : qui porte quoi ici â en silence, en colĂšre, en loyautĂ© ? Et si nommer, câĂ©tait dĂ©jĂ allĂ©ger ?
La salle sâanime.
Depuis lâatelier de cartographie, les tensions sont moins glacĂ©es, mais une forme de fĂ©brilitĂ© sâest installĂ©e.
Certains prennent la parole plus vite.
Dâautres sâagitent dans lâombre : âon va lancer un sondageâ, âon pourrait faire un atelier rĂ©trospectiveâ, âil faut quâon avanceâ.
Claire les regarde faire.
Elle sent que quelque chose se réorganise, mais à toute vitesse, sans ancrage.
Elle observe cette accélération soudaine.
Et elle pose une question, simple :
â Qui porte quoi, ici ? Et pour qui ?
Le flou fabrique des rÎles par défaut
Le silence revient.
Puis quelques phrases tombent :
âMoi je ne porte rien, je suis juste lĂ .â
âCâest toujours les mĂȘmes qui prennent.â
âOn ne sait mĂȘme plus ce qui relĂšve de notre responsabilitĂ© ou pas.â
âCâest Ă toi, Claire, de cadrer.â
Claire ne réagit pas tout de suite.
Elle voit ce que ce moment révÚle :
dans lâincertitude, le collectif cherche un porteur symbolique.
Et quand il ne le trouve pas⊠il se met à désigner. à charger. à diviser.
Accompagner le doute en collectif, câest aussi poser la question de la responsabilitĂ©
Mais pas au sens du coupable, ni mĂȘme de la fonction.
Claire propose un autre regard.
â Et si chacun notait sur une feuille ce quâil porte rĂ©ellement ici ?
Une tùche. Une attente. Une émotion. Une loyauté.
Juste ça. Ce que vous portez, que les autres ne voient peut-ĂȘtre pas.
Un temps sâinstalle. Chacun Ă©crit.
Puis lit Ă voix haute.
Il y a :
- âle projet quâon mâa imposĂ© mais que je veux faire tenirâ,
- âle malaise que jâai depuis la fusionâ,
- âle lien avec une collĂšgue absente mais qui compte encoreâ,
- âla peur de dire que je ne comprends plus rienâ.
Personne ne rit.
Il nây a pas dâironie dans la piĂšce.
Juste des charges humaines qui sâexpriment.
Lâespace dâĂ©quipe devient un espace dâallĂšgement
Un homme lĂšve les yeux :
â Je crois que jâĂ©tais en colĂšre depuis des mois, mais je ne savais plus pourquoi. LĂ , ça revient.
Une femme ajoute :
â Jâai cru que je devais tenir pour tout le monde. Mais en fait⊠personne ne me lâa demandĂ©.
Ce jour-lĂ , personne ne propose de plan dâaction.
Mais pour la premiÚre fois, le poids est partagé.
Qui porte quoi ? Ce nâest pas une question dâorganigramme.
Câest une question de reconnaissance mutuelle.
Et parfois, elle suffit Ă redonner de lâair.
Une question pour vous, en collectif :
Ce que vous portez, est-ce visible ?
Et savez-vous ce que les autres portent, derriĂšre leurs rĂŽles ?
Ce texte fait partie de la série La traversée du doute, en résonance avec la sortie prochaine du livre Le Gardien des Voix.
Un guide pour celles et ceux qui accompagnent sans imposer, et gardent lâespace vivant quand plus rien ne semble tenir.