🟣 Hors-sĂ©rie — La traversĂ©e du doute : Le cadre mis Ă  l’Ă©preuve

Le cadre mis Ă  l’épreuve : entre hĂ©ritage, doute et transformation

Le cadre mis Ă  l’Ă©preuve dans mes derniers accompagnements, lors des formations sur les bases Agile : on m’a opposĂ© le cadre en place. Ok, c’est bien Agile, mais par pour nous. C’est dĂ©routant, c’est flou cette absence de cahier des charges. La validation par la valeur: c’est subjectif…. Nous nous sommes dans un environnement rĂ©glementaire. On ne peut pas se permettre de dĂ©cider, de modifier le processus …


Le cadre est un réflexe naturel

Claire l’a encore entendu rĂ©cemment.
Un manager expérimenté, bienveillant, lucide.
Mais dĂ©sarmĂ© par le flottement d’une Ă©quipe qui n’avance plus.

“Ce n’est pas compliquĂ©, il faut juste qu’on leur remette un cadre clair. Sinon ils vont s’éparpiller.”


Le mot cadre est lùché.
Il semble solide. Pratique. Rassurant.

« Il faudrait remettre un peu de cadre ». Comme un rĂ©flexe. Comme une Ă©vidence. On m’invite Ă  ĂȘtre plus claire.

Et pourtant

C’est peut-ĂȘtre l’un des mots les plus glissants du vocabulaire managĂ©rial.
Car il charrie avec lui un hĂ©ritage collectif bien plus profond qu’il n’y paraĂźt.
Un hĂ©ritage qui ne vient pas seulement du manager, mais aussi des Ă©quipes elles-mĂȘmes, façonnĂ©es pour demander ce cadre — puis en souffrir.

Mais de quel cadre parle-t-on vraiment ?
Et pourquoi revient-il si vite, dùs que le doute s’installe ?


Ce que nous portons sans le voir

Dans Manager Autrement, j’avais dĂ©jĂ  explorĂ© cette notion.
Le cadre, ce n’est pas seulement un pĂ©rimĂštre ou une rĂšgle.
C’est un dispositif culturel, relationnel, historique.

Et ce cadre, on ne le subit pas seulement :
on le reproduit. On l’appelle. On le rĂ©clame.

Des annĂ©es d’école verticale. Des pratiques managĂ©riales fondĂ©es sur la prescription.
Une histoire du travail qui valorise l’obĂ©issance, la conformitĂ©, la “bonne application”.

Alors quand le doute s’installe — quand les repùres vacillent —
les Ă©quipes se tournent naturellement vers la figure du cadre. Le Manager, le coach… Enfin celui qui porte l’autoritĂ©…
Pas pour la contester. Mais pour qu’elle tienne ce qu’elles n’osent pas encore porter par elles-mĂȘmes : le sens, la direction, la sĂ©curitĂ©.


Le piĂšge de l’autonomie offerte Ă  des collectifs façonnĂ©s pour suivre

Beaucoup d’organisations veulent aujourd’hui plus d’autonomie, plus de coopĂ©ration, plus de transversalitĂ©.
Mais elles oublient une chose :

on ne peut pas demander à des équipes formatées à suivre
 de devenir soudainement autonomes.

C’est un changement de logiciel.
Et ce changement met Ă  nu une ambivalence :

  • d’un cĂŽtĂ©, un besoin sincĂšre de respiration,
  • de l’autre, une culture profonde du “dis-moi ce qu’il faut faire”.

Ce n’est pas une faute. C’est un hĂ©ritage.

Et cet héritage met le doute partout :
chez les managers — qui ne savent plus s’ils doivent cadrer ou accompagner ;
et chez les Ă©quipes — qui se sentent abandonnĂ©es dĂšs qu’il n’y a plus de consignes.


Normatif, chaotique, vivant : trois figures du cadre

Il n’y a pas un bon cadre. Mais il y a des cadres adaptĂ©s au vivant.

Voici trois figures que j’observe rĂ©guliĂšrement :

  1. đŸ”č Le cadre normatif
    • Structurant, prĂ©dictible, mais figĂ©.
    • Il sĂ©curise, mais empĂȘche l’autonomie rĂ©elle.
    • TrĂšs prĂ©sent dans les grandes institutions.
  2. 🔾 Le cadre chaotique
    • Tout est possible, rien n’est tenu.
    • L’intention de dĂ©part est la liberté  mais elle vire vite Ă  l’anxiĂ©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
    • On y entend souvent “on fait de l’agile” — sans repĂšres partagĂ©s.
  3. 🟱 Le cadre vivant
    • Il s’ajuste. Il tient par la relation, pas par la rĂšgle.
    • Il repose sur l’intention claire, la rĂ©gulation mutuelle, la confiance.
    • Il demande du courage. Et du temps. Et une vraie culture de la parole.

Et le doute dans tout ça ?

Le doute surgit souvent lĂ  oĂč le cadre ne parle plus.
Mais il révÚle aussi ce que le collectif attend inconsciemment de lui.

Dans un cadre normatif, le doute est interdit.
Dans un cadre chaotique, le doute devient panique.
Dans un cadre vivant, le doute devient un outil d’ajustement.


Ce n’est pas qu’une question de posture managĂ©riale

ArrĂȘtons de penser que le cadre ne dĂ©pend que du manager.
Il est co-construit, co-attendu, co-maintenu.

Accompagner un collectif, ce n’est pas seulement poser un cadre.
C’est faire apparaütre la culture implicite qui l’appelle — et ouvrir un espace pour la transformer.



En synthĂšse

Une question pour vous, dans l’accompagnement, le pilotage ou la facilitation :

Quand vous parlez de cadre, parlez-vous d’un pĂ©rimĂštre
 ou d’un hĂ©ritage ?
Et si le doute Ă©tait l’occasion de faire Ă©voluer les attentes profondes du collectif, et non d’y rĂ©pondre mĂ©caniquement ?


Ce texte est un hors-série de la série La traversée du doute, en résonance avec la sortie prochaine du livre Le Gardien des Voix.
Un guide pour celles et ceux qui accompagnent sans imposer, et gardent l’espace vivant quand plus rien ne semble tenir.