Entrer dans un système, c’est parfois offrir sa compétence, parfois sa générosité, parfois sa lucidité.
Dès que les zones de pouvoir s’éclairent, la comédie humaine se referme.
Et si la data devenait une manière de lire les cercles d’influence… sans s’y brûler ?
I. L’étincelle : une vidéo qui tombe juste
Une vidéo de Mehdi Moussaïd a réveillé en moi quelque chose de précis : un vécu, une logique, une prise de conscience…
Dans cette vidéo, l’IA sert de projecteur. Elle simule des comportements humains et rend visibles les mécanismes sociaux appelés les trois lois d’attraction sociale :

1️⃣ Homophilie — « Qui se ressemble s’assemble »
→ affinités naturelles, sous-groupes homogènes.
2️⃣ Fermeture triadique — « Les amis de mes amis sont mes amis »
→ triangles relationnels qui se referment, communautés soudées.
3️⃣ Attachement préférentiel — « On prête toujours aux riches »
→ figures déjà connectées qui attirent davantage, création de hubs.
(Les reformulations entre guillemets sont une interprétation personnelle.)
Ces trois lois se retrouvent dans la plupart des organisations — souvent sans être nommées.
Ce que la simulation éclaire, ce n’est pas la data en tant que matière brute, mais les liens, les rapprochements, les tensions, les micro-alliances, les cercles d’influence qui se tissent silencieusement.
Cette visualisation a mis des mots sur un vécu ancien : mes « discriminations de données sociales », que Mehdi formalise avec une clarté saisissante.
Ces trois lois révèlent surtout un point aveugle :
👉 dans les cercles d’influence, la logique structurelle l’emporte souvent sur la logique humaine.
👉 dans les cercles d’influence, la logique mathématique l’emporte souvent sur la logique humaine.
Ce n’est pas une question d’intention.
C’est une question de structure.
Aucune intention particulière, aucune malveillance : simplement une mécanique.
C’est dans cette mécanique que les systèmes se referment lorsque mes accompagnements frôlent leurs zones sensibles.
La vidéo a agi comme une bascule, exactement comme la relecture de Balzac dans L’art d’être utile sans se perdre.
Ici, un autre étage apparaît :
📌 Pourquoi certains systèmes se referment-ils lorsque l’intention est de les servir ?
II. Cercles d’influence vs cercles d’action : Covey en renfort
Pour comprendre pourquoi certaines situations m’ont marquée dans ma carrière, un deuxième modèle est essentiel : les trois cercles d’influence de Stephen Covey.

Les trois cercles d’influence de Stephen Covey (1989)
1️⃣ Cercle d’action directe
Ce que je peux faire, créer, mener, terminer.
2️⃣ Cercle d’influence
Ce que je peux influencer, sans contrôler.
3️⃣ Cercle de préoccupation
Les dynamiques où je me perds, où mes actions n’ont aucun impact.
Dans mon travail, tout commence bien dans le cercle d’action directe : j’observe, je structure, je clarifie, j’avance.
Mais dès que mon travail entre dans le cercle d’influence et frôle le cercle du pouvoir, tout devient instable.
Dans mes accompagnements, j’entre toujours par le cercle d’action : observation, data, clarification. Mais dès que mon travail entre dans le cercle d’influence, quelque chose s’active.
Et quand il frôle le cercle de préoccupation des autres (leurs enjeux de pouvoir, leur statut, leurs territoires), un verrou se ferme.
👉 C’est là que les cercles d’influence deviennent des cercles de résistance.
Et mes anecdotes en sont l’illustration parfaite. Elles sont décrites dans les scènes suivantes :
III. Scène 1 — Allemagne : le leader désigné, puis abandonné
Le contexte, ma certification Black Belt, grande entreprise militaire, tout en anglais.
Un sujet concret est proposé : Pourquoi certains avions restent-ils trop longtemps sur le tarmac ?
Un membre très “attractif” du groupe — exactement le type décrit par Moussaïd — propose que je prenne le lead.
J’accepte. Tout le groupe me suit la proposition de ce membre reconnu.
Quelques semaines plus tard, ce même membre lance un autre projet, cette fois très prestigieux : transformation digitale, plateformes visibles, gros rayonnement.
Et il récupère la majorité du groupe (22 personnes)
Sauf six personnes : le porteur du projet, le leader du projet (moi), et celles concernées par la problématiques ou la parole précédemment donnée.
👉 C’est un schéma classique des cercles de pouvoir.
👉 Et c’est exactement la mécanique décrite par les travaux de C. Wright Mills et les analyses de Three Circles of Power (2016) que je vous invite à consulter même si cela date un peu.
Ce qui aurait pu être un naufrage a été la plus belle aventure de ces quatre années.
Parce que les deux personnes qui sont restées m’ont reconnu, vraiment.
Elles ont fait de moi leur leader, et cette légitimité-là a rayonné longtemps.
IV. Scène 2 — Projet défense : quand les données menacent les territoires
Mon projet Black Belt consistait à discriminer des données sensibles.
Et ces données révélaient quelque chose de dérangeant :
la taille des “territoires” occupés par les équipes était directement corrélée au pouvoir symbolique des managers.
Mon analyse met en lumière ces mécanismes.
Et évidemment, ça dérange.
Beaucoup.
Je ne suis pas seulement “experte” : je deviens une menace pour l’ordre établi, même sans le vouloir.
J’ai révélé une vérité que tout le monde connaissait sans la dire.
Et immédiatement, j’ai senti la crispation :
- contournements,
- silences,
- agressivité douce,
- résistance passive.
Pourquoi ?
Parce que je venais toucher leur cercle de préoccupation, donc leur cercles d’influence internes.
V. Le fil rouge : deux formes de pouvoir entrent en collision
Mon pouvoir : la clarté, l’analyse, la data, le discernement.
Leur pouvoir : le statut, les réseaux, l’attractivité sociale, les territoires.
Deux langages différents, deux logiques qui ne se reconnaissent pas toujours.
Lorsque la structure invisible d’un collectif est révélée, des mécanismes défensifs se déclenchent.
Ce ne sont pas les mêmes règles du jeu.
Ce n’est pas le même langage.
Et cela crée la friction :
👉 Le pouvoir personnel qui éclaire
se heurte au pouvoir social qui protège.
C’est exactement ce que montre la recherche 2022 sur les élites finlandaises (Inner Circle of Power, 1991-2021), ou encore l’approche axiomatique des élites dans les réseaux sociaux (PMC 2018),, et avant eux Balzac dans la comédie humaine que vous retrouverez dans mon article L’art d’être utile sans se perdre.
VI. La clé : lire les cercles d’influence par la data, avant qu’ils ne nous atteignent
Lire le pouvoir n’a rien de frontal.
Dans de nombreuses organisations, les systèmes sociaux se contractent lorsqu’ils perçoivent une observation directe.
Une autre approche devient alors possible :
- privilégier les dynamiques plutôt que les personnes,
- observer les patterns plutôt que les gestes individuels,
- regarder les flux relationnels avant d’interpréter les intentions,
- comprendre la logique du système avant de solliciter une évolution.
où la data offre un espace neutre :
un espace qui permet de décrire sans accuser, d’éclairer sans blesser, de comprendre sans exposer.
👉 C’est ainsi que les cercles d’influence deviennent lisibles… sans brûlure.
La vidéo de Mehdi révèle quelque chose d’évident :
jusqu’ici, mes discriminations de données étaient réalisées à la main — croisements, signaux faibles, réseaux implicites, variations comportementales.
Cette approche est lente, énergivore et surtout exposante.
La collecte humaine des données touche immédiatement les cercles d’influence.
D’où l’idée émergente :
⭐ Créer un algorithme de discrimination des données sociales,
pour voir les dynamiques avant d’y entrer.
Un tel outil permettrait :
- de repérer les hubs sociaux,
- d’identifier les clusters,
- de mesurer les degrés d’homophilie,
- d’anticiper les résistances,
- de comprendre les zones sensibles.
Un moyen de lire sans brusquer, d’accompagner sans heurter, de rester lucide sans se consumer.
VII. Conclusion : Vers une écologie professionnelle éclairée par la data
Cet article n’est pas un avertissement. C’est un repositionnement.
Nous ne sommes pas naïfs.
Nous ne sommes pas cyniques.
Nous sommes lucides.
Les cercles d’influence structurent nos collectifs.
Ignorer ces lois, c’est se blesser.
Les comprendre, c’est se positionner.
La data peut devenir un allié.
Un garde-voix.
Un garde-fou.
Un moyen d’accompagner sans heurter.
Et peut-être, enfin, de lire le pouvoir… sans s’y brûler.
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