Coach produit & IA générative en entreprise : vers une écologie de la décision produit – Article 3

Et si l’essentiel ne tenait pas dans le backlog, mais dans la qualité des conversations ? À l’heure où l’IA accélère les rythmes, cet article invite à ralentir pour mieux décider : restaurer des espaces de dialogue, de discernement et de gouvernance incarnée, au service d’une véritable écologie de la décision produit.


Backlog et débat : une scène qui revient souvent

Dans les grandes organisations engagées dans des programmes d’agilité à l’échelle, les équipes sont souvent prises dans une mécanique bien rodée : cadences synchronisées, sprints de deux semaines, backlog alimenté par les features métiers, et gestion des dépendances interéquipes. Le vocabulaire est connu : PI Planning, ART, delivery train, velocity, RTE…
Les décisions produit se prennent dans un cadre outillé, parfois très outillé.

Mais dans cette orchestration maîtrisée, une scène revient souvent. Une décision produit importante est à prendre – sur une API, une évolution d’interface, une logique de traitement – et soudain, le doute affleure :
Pourquoi cette demande, au fond ? D’où vient-elle ? Est-elle toujours d’actualité ? Qui porte la voix du besoin réel ?

Le sprint, dans ces environnements, devient un temps court, contraint. Tout va très vite. Les arbitrages doivent suivre la cadence. Et dans ce rythme soutenu, la conversation de fond est parfois contournée. Le backlog, avec ses lignes, ses priorités et ses statuts, absorbe peu à peu le débat initial. Ce qui devait être une trace devient l’espace de la décision lui-même.

Dans cette configuration, les choix peuvent se figer avant d’avoir été réellement pensés. L’alignement se fait sur la structure, non sur le sens. Les métiers et l’IT se coordonnent, mais ne dialoguent pas toujours sur l’essentiel. Et ce glissement, bien souvent, ne se voit pas. Il s’installe doucement, dans les automatismes du cycle.

Avec l’arrivée de l’IA générative, ce décalage devient encore plus sensible. Les outils nous aident à générer, résumer, structurer, classer. Mais l’endroit d’où émerge une décision produit ne peut pas être réduit à une matrice. Il y a, quelque part en amont, un espace de friction féconde où les doutes se formulent, les désaccords s’expriment, les intuitions circulent. Et cet espace n’est pas toujours outillé. Il est relationnel, souvent informel, parfois silencieux.

Dans plusieurs organisations accompagnées récemment, j’ai vu émerger ce besoin de “retrouver le fil” : recréer des temps d’échange sans livrable immédiat, juste pour s’aligner, se comprendre, croiser les angles morts. Ces moments n’ont pas la productivité d’une task force, ni l’efficience d’un workshop. Pourtant, ils changent la texture des décisions. Ils permettent de sortir du réflexe “build” pour revenir à la question du pourquoi — pas le grand pourquoi stratégique, mais celui qui nous engage ici et maintenant, dans cette équipe, face à ce choix.


Du double diamant au lean startup – Un fil pour décider juste

Pour mieux comprendre ces espaces de décision produit, on peut utilement s’appuyer sur des repères méthodologiques comme le double diamant du design thinking. Ce modèle en deux temps – divergence puis convergence – aide à catégoriser les usages (problèmes réels vs supposés, besoins exprimés vs latents) avant même de parler de solution.

👉 Un article ressource à relire : Pensée créative et double diamant

Une fois les usages clarifiés, c’est souvent le Lean Startup qui reprend le flambeau : comment tester des hypothèses de valeur, ajuster des MVP, et construire un business model viable sans perdre de vue la réalité du terrain.

👉 Retour d’expérience ici : Le Lean Startup : retour d’expérience

C’est à l’intersection de ces deux mouvements – design et lean – que le coach produit GenIA intervient : non pas comme facilitateur de rituels, mais comme passeur de langage entre les besoins métiers, les contraintes IT, et les choix data. Ce rôle devient d’autant plus essentiel dans les organisations où la gouvernance des données est encore source de tensions invisibles, comme exploré dans cet article.


Une écologie sensible de la décision produit

Il n’est pas toujours utile d’opposer backlog et conversation, ou structure et dialogue. Ce qui se joue ici, c’est une recherche d’équilibre. Une forme d’écologie de la décision produit, qui ne nie ni les outils, ni les procédures, mais cherche à les relier à ce qu’ils servent vraiment.

Comprendre l’écologie de la décision produit (Définition)

Le terme écologie, issu du grec oikos (maison) et logos (discours), désigne la science des relations entre les êtres vivants et leur environnement. Appliquée au domaine du produit, l’écologie de la décision produit peut être comprise comme une approche systémique qui prend en compte l’ensemble des interactions humaines, techniques et organisationnelles dans le processus de prise de décision. Cela implique de considérer non seulement les outils et les processus, mais aussi les dynamiques relationnelles, les tensions invisibles et les arbitrages entre différentes formes de valeur (usage, business, humaine).

Pour approfondir cette notion, tu peux consulter cet article qui explore la résilience dans un contexte de bouleversement, mettant en lumière l’importance de l’écosystème dans la prise de décision :
👉 Résilience : la comprendre et la développer dans un contexte de grand bouleversement

Animer un atelier rétrospective sur la décision produit

Créer un espace de discernement collectif autour de la décision produit

Objectif
Créer un espace de discernement pour revisiter une décision produit (passée ou à venir), en croisant les usages, les tensions et les intuitions silencieuses.
Soutenir un dialogue utile entre les perspectives métier, produit, IT et data.

1. Retour au contexte réel (10 min)

Individuellement :
– Quelle est la dernière décision produit prise (ou à prendre) dans votre équipe ?
– Qu’est-ce qui l’a déclenchée ? Demande ? KPI ? réflexe ?
– Qui est réellement concerné par ses effets ?
-> Noter : décision / déclencheur / impact perçu.

2. Revenir à l’usage (15 min)

En binôme ou en petit groupe :
– Le besoin était-il exprimé ? implicite ? supposé ?
– Avait-on divergé avant de converger ?
– Quels usages mériteraient d’être clarifiés ?
-> Identifier une ou deux zones d’ambiguïté.

3. Identifier les voix non entendues (15 min)

Collectivement :
– Qui n’a pas été entendu dans cette décision produit ?
– Quelles tensions ont été contournées ou tues ?
-> Nommer les voix ou angles morts à intégrer.

4. Revisiter la décision en mode « écologie » (20 min)

En silence, puis partage :
– Cette décision a-t-elle été précipitée ?
– Quel type de valeur a-t-elle servi (usage, business, humaine) ?
-> Reformuler en une phrase ce qui pourrait évoluer.

Dans cette écologie, la conversation devient un espace de discernement partagé. Non pour convaincre ou aligner à tout prix, mais pour écouter ce qui traverse, pour repérer ce qui résiste, pour formuler ce qui cherche encore sa place.

Et peut-être que l’IA générative, paradoxalement, peut aussi aider à cela. Non pour décider à notre place, mais pour désencombrer ce qui surcharge, garder la mémoire de ce qui a été dit, ou soutenir ce qui se cherche encore.

Une décision produit ne se résume pas à un ticket traité. Elle porte une part d’intention, de lien, de responsabilité partagée. Ce fil-là, quand il reste vivant, redonne souffle au collectif.